De l'autre côté...
Quand j’étais petite, je voyais des rangées de voitures avec
des plaques d’immatriculation étranges arriver en nombre croissant l’été. Je
remarquais aussi qu’il y avait des
points communs à ces voitures : de gros sacs sur le toit ou collés contre la
vitre arrière, une chanson populaire lancée à plein tube et un air d’euphorie.
J’avais posé la question à mes parents et on m’avait expliqué que c’était des
personnes parties rechercher une vie meilleure en dehors du Maroc, à l’époque
cela ne voulait pas dire grand-chose pour moi, mais on m’a rappelé que pour mon
oncle aussi c’était le cas.
Ce phénomène m’intrigant toujours, j’ai continué à rechercher
les raisons qui poussaient les gens à quitter leur pays (comment pouvait-on aspirer à vivre ailleurs, c'était le plus beau pays du monde à mes yeux!) surtout pour les
personnes qui allaient jusqu’à mettre leur vie en danger pour s’expatrier.
Petit à petit, les pouvoirs publics prirent conscience de l’évolution de
phénomène en encensant ceux qui réussissaient à « bien » représenter
le Maroc et en pourchassant, réprimandant et même sensibilisant ceux qui ne
pensaient qu’à une seule chose : traverser la Méditerranée. Deux poids
deux mesures. Intrigant.
L’autre élément intrigant c’était leur représentation dans
leur pays d’origine. Certains les jalousaient, d’autres leur en voulaient de
les avoir abandonné dans la misère et quelques autres les poursuivaient de
requêtes, de projets ou tout intérêt individualiste. Cela donnait une
représentation fantasmée du marocain réussissant dans un pays riche mais se
languissant loin de son doux pays et de sa charmante famille. Pourtant en discutant avec certains malgré les apparences ils en voulaient à leur chère
mère patrie qui ne leur avait pas offert suffisamment d’opportunités pour les
faire rester ni de raisons solides pour revenir.
JFK a dit « ask
not what your country can do for you, ask what you can do for your
country » c’est ce qui m’agaçait dans cette histoire. Assumer de quitter sa patrie était justifié
par l’abandon de l’état et la déshérence des citoyens jusqu’à critiquer sans discontinuer
à chaque retour aux sources. De l’aigreur comme discours à la fin de chaque
séjour parce qu’il était difficile de quitter le soleil. Je leur en voulais de
blâmer ce Maroc sans vouloir bouger le petit doigt pour lui, non pas en transfert de devises ou de lobbying, mais
en investissant de ce pays en palliant à ses défauts non pas par des paroles
mais par des actes. Par ailleurs en pointant du doigt tout ce qui n’allait pas,
ces citoyens du Monde finissaient par décourager même ceux qui étaient restés…
La deuxième et la troisième génération qui arrivèrent se
sentirent de moins en moins marocains mais on ne leur reconnaissait pas cette
part de l’Histoire.
Après tout nous n’avions pas l’habitude de s’exporter en
dehors de la zone arabo-musulmane (soyons honnête à part nos ancêtres en
Andalousie ou nos voisins turcs ou arabes partis aux confins de l’Inde, de
l’Europe de l’Est, qui se souvient de l’intégration de ces conquérants ?
Et « conquérant » ne veut pas dire « invité » dudit
pays !)… Notre culture n’était pas dimensionnée pour une adaptation à un
environnement individualiste, faisant la part du public et du privé, qui se
contrefiche des jugements sur les modes de vie. Et c’est même pour cela que
c’était difficile de retourner…
Vouloir vivre dans un pays démocratique promouvant l’égalité
des chances était tout à fait légitime mais il fallait le mériter. Si la
première génération a travaillé dur à des postes désertés par les
« locaux », la deuxième pensait que la naissance désignait l’appartenance
de la patrie et s’est vue refuser le même degré de nationalité avec des
vérifications de papiers, des questions inappropriées « vous venez
d’où ? ». Faut-il être plus patriote que le plus patriote des
« locaux » pour montrer à quel point on mérite l’appartenance à cette patrie ? Certainement ! En se déracinant on s’efforce à oublier
la valeur même de cette appartenance et des devoirs qui lui sont liés. La
mondialisation a appauvri notre lien avec nos pays respectifs devenant une
simple relation opportuniste ! Devant un match de football, quel camp
choisir ? Celui qui pourrait nous faire gagner ou celui que l’on
aime ? (Certaines personnes ont besoin de se retrouver loin de la chose
(ou de l’être) aimée (le pays) pour reconstituer se lien)
Auparavant, gagner ses galons de la patrie d’accueil se
gagnait par la guerre ou par le service militaire (maintenant une partie passe
par le sport). Mes choix personnels m’ont mené en France d’une certaine manière
à la recherche de mon bonheur et il est vrai que j’ai été frappée par
l’ambiance « raciste » et « victimaire » qui plane… La
crispation économique pousse les gens à rechercher des boucs émissaires, je ne
peux pas leur en vouloir. Soyons honnêtes notre système cognitif est
construit par des à priori, des préjugés et des stéréotypes sur les femmes, les
hommes, les adolescents, les avocats, les instituteurs, les banquiers, les
comptables, les publicitaires, les musulmans, les boudhistes, les juifs, les
catholiques, les latinos, les africains, les maghrébins, les chinois, les slaves,
les américains… et j’en passe ! Ces a priori ne sont là pourtant que pour
être détruits, il ne tient qu’aux « victimes » de démontrer que c’est
faux. Les noter à chaque fois pour se morfondre de l'état des choses ne va en rien améliorer la situation bien au contraire.
Le pire c’est qu’une partie de ces victimes s’allient avec des populistes
par une logique assez déconcertante en allant de l’autre côté pour trouver
d’autres « victimes ». En se retrouvant à la croisée des chemins, le
choix devient simplement manichéen. Vendre son âme avec aigreur en alimentant
le cercle vicieux au lieu de s’en libérer ?
L’Histoire nous a déjà donné des leçons sur les
conséquences de tels actes mais comme auparavant personne ne voit les signes
avant-coureurs en s’empêchant de suivre les accents magiques du chant des
sirènes…
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