Du sacré et de l'interdit

Emotion, choc, sentiment d'injustice et de frustration... les récents événements parisiens ne m'ont rien épargné ces derniers jours (Attaques de Charlie Hebdo, de policiers et de l'Epicerie Hyper Cacher) comme pour beaucoup de personnes en France ou ailleurs (ou pas).

J'ai mis un temps pour tout lire et analyser. Il reste difficile d'analyser à froid ces événements. Internet a rompu les frontières depuis longtemps de la compassion mais aussi de la rébellion ou des théories les plus fumeuses. J'ai lu de tout:
  1. des personnes qui se "sentent Charlie" en solidarité avec les victimes mais aussi et surtout en solidarité envers le combat pour la liberté de pensée et de liberté.
  2. des personnes qui condamnent les événements sans faille sans pour autant se sentir Charlie car pour eux "la liberté d'expression a une limite celle de donner le sentiment d'humiliation/provocation à l'autre 
  3. des personnes qui condamnent les événements mais qui rappellent que d'autres personnes anonymes meurent chaque jour (en Iraq, Syrie, Palestine... principalement des pays à dominante musulmane), des personnes aussi qui en pointant du doigt ces atrocités commises sont "ulcérées" qu'il y ait un degré de valeur à la vie humaine (un civile quelconque n'est pas équivalent à un symbole de la liberté? oui mais les événements antisémites à Toulouse n'avaient pas non plus soulevé autant la France...)
  4. des personnes qui se sont réjouies de l'horreur comme punition à de simples dessins
  5. des personnes qui évoquait d'incroyables théories de complot...
De toutes ces réactions, certaines ont soulevé plus de colère que d'autre (vous vous doutez desquelles?) mais je devais laisser passer ce sentiment pour arriver à la Raison.

Mais cela m'a rappelé certains souvenirs de ma vie au Maroc. Il faut préciser que nous (les marocains) adorons définir notre culture comme étant entre "Tradition et modernité" (expression qui m'exaspère au plus haut point, elle me fait penser à "le cul entre deux chaises - excusez la vulgarité de l'expression!- ). Mais notre part de tradition est composée de plusieurs totems "sacrés".
Ces totems sont divers et variés, on passe de la religion (coran, hadith, coutumes "religieuses"...), à la famille (parents, mari, épouses, beaux parents...), au tissu sociétal, jusqu'aux institutions politiques et de gouvernance (pas besoin de préciser lesquelles).
Ils stabilisent, soumettent voir aliènent le système dans un équilibre d'une précision d'horlogerie suisse.

J'ai grandi avec tous ces totems. 
Déjà enfant, papa me désignait le policier au feu rouge "fais attention si tu n'es pas sage, je t'emmène voir le policier", le transformant d'un élément qui protège et sécurise à élément de répression. 
Les cours d'éducation islamique tout au long de mon parcours éducatif me donnait les références religieuses à suivre sans pousser l'envie des étudiants à aller plus loin, à faire du "Ijtihad" voir à alimenter notre pensée. Mais heureusement j'ai peu compter sur moi même pour réfléchir dessus.

Le totem des parents est plus que sacralisé par l'effet de leur bénédiction sur la vie d'un enfant => Renforcement de la culpabilité de l'enfant pour toute décision pouvant aller à l'encontre des envies des parents.

Le totem du tissu sociétal et du parcours tout tracé (étudier, travailler, trouver un époux/épouse dès que possible, avoir des enfants dès que possible...) définit l'ordre et le timing de chaque événement, le choix des origines familiales de l'époux/épouse hypothétique, de l'école dans laquelle vont grandir les enfants...

Les événements des jours passés m'ont rappelé à quel point un blasphème par rapport à l'un de ces totems peut provoquer une réaction plus ou moins extrême. J'ai vu une vidéo d'un homme de culture musulman qui criait qu'insulter le prophète revenait à insulter sa mère.

Je connais l'impact de ces totems sacrés et je les respecte. Ils font partie de notre culture depuis trop longtemps pour les renier cela serait un pur mensonge de prétendre le contraire. Pouvoir s'en détacher pour réaliser son propre choix selon son âme et conscience avec des valeurs que la personne a défini elle même semble impensable pour une majorité.
Défendre cette posture est aussi rude devant le dogmatisme de certains... Je sais à quel point sortir des sentiers battus peu en choquer plus d'un.
Le siècle des Lumières a laissé un héritage immense non seulement à la France mais à l'Humanité toute entière dont la possibilité de blasphémer. 
Qu'on soit d'accord ou pas cela s'appelle la liberté: liberté de lire, de penser, d'acheter, d'entreprendre ou de rejeter. Chérissez cette liberté, car on ne connaît sa valeur quand on ne l'a pas ou quand on la perd.

Par ailleurs, je vois aussi dans ces réactions quasi urticaires un mécanisme de défense par manque de confiance, par repli identitaire et par conservatisme. 
S'ils éprouvaient la sérénité de cette spiritualité, ils n'éprouveraient pas le besoin d'être aussi ulcérés pour les moqueries d'étrangers aussi loin. Pourtant la réponse la plus digne aurait été l'indifférence pour ne pas les alimenter.
Même quand la dernière Une de Charlie Hebdo affichait un message de pardon, rien n'y fait.
C'est pourtant dans ces brèches de crispation identitaire et de peur que l'extrémisme trouve son nid.

Je me prends à rêver alors d'un autre temps, de celui de la gloire arabo-berbero-judeo-andalouse qui avait donner lieu à tant de philosophe et de penseurs. Mais ce n'est qu'une chimère. 

Le sursaut intellectuel (après le sursaut politique des pays arabes) me semble un simple mirage de désert (on en connaît un rayon normalement sur les déserts et leurs mirages) . Car il faut rappeler que la modernité (de cette incroyable expression: tradition et modernité) ne se compte pas par les grattes ciels, ni par les sacs Chanel (hein mesdames ^^), ni pas le nombre de pouces de la TV et encore moins de la qualité du smartphone ou du nombre de clopes consommées. 

La modernité s'exprime par la capacité à choisir son chemin librement en respectant les lois: être acteur de sa vie et de sa société.


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